"To be or not"

 

L’art permet souvent d’aller plus loin que le reportage journalistique. C’est le cas pour la pièce de théâtre « To be or not… », qui emmène le spectateur dans le voyage des migrants, un voyage où l’humanité disparaît. Saisissant.

Les histoires se conjuguent

 

Nombreux, ils ont tout quitté, fui leurs pays en guerre, et au terme d’un voyage dangereux, ils se sont retrouvés à Calais, dans cette « jungle » démolie fin octobre 2016. Toutes et tous ont souffert les pires violences et vivent désormais dans la plus grande précarité. Aussi, quand le Secours catholique a monté un atelier de théâtre pour les migrants, le succès a été immédiat.

Seize iraniens, afghans et soudanais – les femmes n’ont pas pu participer en raison de l’éloignement de l’atelier, à Calais - se sont impliqués dans le projet théâtral, et plutôt que de suivre simplement des cours de théâtre, ces hommes qui ne parlent pas la même langue sont arrivés le troisième jour avec un projet : créer une pièce qui raconte leur histoire commune.

 

Un voyage théâtral

 

Cette histoire commune, c’est leur voyage à haut risque : les passeurs qui abusent de la détresse, la dangereuse traversée de la mer Méditerranée sur de frêles barques, l’accueil à contre cœur des migrants par les autorités italiennes qui, au nom de l’Europe, n’en veulent pas. Un voyage jalonné de coups, de viols, de morts et d’humiliations, vers un ailleurs où ils sont indésirables.

 

Les seize hommes, aidés par Hisham Aly, dentiste de formation et initiateur de l’atelier, Grégory Barco et Bertrand Degrémont, metteurs en scène, et Laura Clauzel, chanteuse, ont monté « To be or not… », une pièce de 40 minutes dans laquelle, sans passer par la parole, ils nous racontent leur terrible voyage.

 

Émotion et compréhension

 

Pour le spectateur, « To be or not… » est franchement émouvant. Les mots ne manquent pas, l’empathie est le moteur de la compréhension. Même si l’on connaît la situation des migrants, la géopolitique qui les a menés jusqu’ici et les risques qu’ils ont courus, la force du jeu et du récit fait percevoir la réalité concrète : on tangue avec le bateau surchargé dont certains tombent et se noient, on ressent la peur qui a accompagné leur fuite. Autant dire que l’on ne sort pas indemne de la représentation.

 

Pour les 16 acteurs débutants – ils étaient dans leurs pays professeurs, ouvriers, commerçants, étudiants… - raconter un parcours qui s’apparente au calvaire a fonction cathartique. Par moments, certains sont si émus qu’ils doivent quitter le plateau pour retrouver leur sérénité. Mais monter sur scène, c’est aussi faire reconnaître une existence en tant qu’hommes et non plus comme migrants indésirables, puis en tant que comédiens, chanteurs, artistes.

 

De la représentation naît l’action

 

La pièce, par le jeu des acteurs, par ce qu’elle nous montre de l’inhumanité, est un moyen de communication plus efficace qu’un reportage et débouche sur une vraie rencontre avec le public. Une rencontre qui donne au spectateur bienveillant l’occasion de se démarquer de politiques migratoires qu’il désapprouve et de manifester sa solidarité. Mais il serait encore plus utile, vraisemblablement, de présenter le spectacle à des publics qui ne soient pas d’entrée acquis à la cause.

 

« To be or not… » a été jouée tous les soirs durant la semaine de la solidarité fin 2016 et la troupe cherche aujourd’hui de nouvelles dates de représentation. Avis donc aux associations et aux programmateurs de tous poils : faites tourner « To be or not… ».

 

Article écrit par Agnès Rougier

3 extraits de l’émission Traffic, sur Radio Libertaire, animée par Thierry le 16/11/2016 avec Omar, auteur acteur de la pièce, réfugié soudanais, et Laura Clauzel, metteuse en scène. Traduction : William.

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